Il était une fois un petit commis qui travaillait dans un magasin très spécial. on y trouvait toutes sortes d’objets étranges, de toutes les tailles, de toutes les couleurs et de toutes les formes.
C’était la boutique où les âmes venaient choisir leur supplément. Elles pouvaient prendre n’importe quel article avant leur Grand Voyage sur Terre, mais ne pouvaient en emporter qu’un seul. Oh, bien sûr, les âmes possédaient déjà de nombreuses qualités, mais le supplément était ce petit quelque chose en plus qui pouvait les aider dans la vie.
Le petit commis avait à cœur de bien remplir sa mission. Son plus cher désir était de conseiller les âmes pour qu’elles prennent le supplément qui leur serait le plus utile. Mais chaque fois qu’une âme se présentait dans l’échoppe, son maître s’occupait en personne de lui montrer les trésors amoncelés, et la tâche du petit commis se résumait à monter sur la grande échelle pour attraper les articles inaccessibles.
La plupart du temps, les âmes choisissaient des dons. Don pour les langues, don pour jouer d’un instrument, don pour le dessin ou pour la cuisine. Certaines optaient pour des gouts. Gout pour l’aventure, gout de la lecture ou des gouts plus simples comme celui qui fait préférer une couleur à toutes les autres. Quelques-unes osaient prendre des passions. Passion des voyages, passion d’apprendre, et parfois des passions plus risquées comme la passion d’aimer à cœur perdu ou de défendre une cause jusqu’au sacrifice.
Ce qui chagrinait le plus le petit commis, c’est l’usage qui était fait de ces suppléments. Lorsque les âmes rentraient de leur Grand Voyage et racontaient leur expérience sur Terre, rares étaient celles qui en avaient tiré profit. Les raisons invoquées étaient nombreuses : « le contexte ne s’y prêtait pas » ; « l’occasion ne s’est pas présentée »…
L’explication qui revenait le plus souvent, et de loin, était le manque de temps.
Manque de temps pour faire éclore le don, profiter du goût ou s’adonner à la passion choisie. Manque de temps également pour exploiter les autres qualités qui habitaient les âmes.
Un jour, alors que le maitre de l’échoppe montrait toute une gamme de talents musicaux à un groupe d’âmes venues ensemble chercher leur supplément, le petit commis aperçu une âme qui déambulait seule entre les rayonnages. Il s’approcha d’elle, tout heureux à l’idée de prodiguer ses conseils.
– Je vous recommande d’emporter une montre, dit-il en l’entrainant dans un coin de la boutique où étincelaient les cadrans de centaines de modèles différents. Ce sont des merveilles de mécanique, ajouta-t-il avec enthousiasme.
– Une montre, pour quoi faire ? demanda l’âme.
– Pour mesurer le temps, exposa le petit commis avec fierté en exhibant un instrument de toute beauté orné d’innombrables aiguilles. Celle-ci indique les saisons, les cycles du jour et de la nuit, les intervalles de temps, les durées incompressibles, le temps perdu et aussi le juste à temps.
Ainsi, vous saurez à quel moment il convient de faire les choses et combien de temps vous dépensez à les réaliser. Cette montre vous fera gagner beaucoup de temps, conclut-il.
L’âme semblait perplexe.
C’est intéressant, dit-elle pour ne pas vexer le petit commis. Elle a beaucoup d’aiguilles, j’ai un peu peur de ne pas savoir la manipuler. Celle-ci me parait plus simple, quel temps donne-t-elle ?
Elle s’était emparée d’un petit cadran doté d’une aiguille unique.
– Celle-ci ? Ce n’est pas une montre, c’est une boussole. Sa fonction est d’indiquer la direction.
L’âme se mit à rayonner de bonheur.
– C’est elle que je vais emporter, affirma-t-elle.
-Elle ne vous permettra pas de gagner du temps, objecta le petit commis.
– A quoi me servira de gagner du temps, si je n’avance pas dans la bonne direction ? répondit l’âme.